Cannabis thérapeutique : bientôt des médicaments en France

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Anaïs Daniel

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L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) vient de donner le feu vert à une expérimentation de deux ans sur les usages thérapeutiques de certains composants du cannabis. Classé comme une drogue dans l’Hexagone, celui-ci pourrait, comme dans une trentaine d’autres pays dans le monde, être ensuite prescrit à des patients sur des indications bien spécifiques.

Les médicaments à base de cannabis devraient faire leur apparition en France d’ici quelques mois. Depuis mars 2021, une expérimentation est menée par l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) sur le cannabis à usage médical. En tout, 3 203 patients y ont pris part. Trois ans après son lancement, l’expérimentation concerne encore 1 957 personnes.

Depuis peu, le dispositif ne peut plus intégrer de nouveaux patients. En revanche, il accueille toujours des professionnels de santé qui souhaiteraient se former. Par exemple, un patient déjà suivi par une structure hospitalière peut demander à son médecin généraliste de l’accompagner dans le cadre de l’expérimentation.

Cinq situations ont été retenues pour inclure les patients dans le protocole : les douleurs neuropathiques (1), certaines formes d’épilepsie sévères, certains symptômes rebelles (2) en oncologie liés au cancer ou à ses traitements, la spasticité douloureuse (3) de la sclérose en plaques ou d’autres pathologies du système nerveux central et enfin les situations palliatives (4). Les douleurs neuropathiques constituent plus de la moitié des cas.

Testé chez des personnes en situation d’échec thérapeutique

Ce traitement n’est prescrit qu’en cas d’échec des traitements précédents. Il vient compléter des thérapies déjà existantes. « Quoi qu’il en soit, le cannabis médical se positionne dans des situations réfractaires, c’est-à-dire dans des cas de maladies sévères pour lesquelles la médecine est en échec thérapeutique », précise Nicolas Authier, médecin psychiatre, spécialisé en pharmacologie, addictologie et traitement de la douleur, au CHU de Clermont-Ferrand. Il préside le comité scientifique qui assure le suivi de l’expérimentation.

Dans le cadre de cette expérimentation, les professionnels de santé bénéficient d’une formation afin de prescrire ou de délivrer du cannabis thérapeutique. La composition de ce dernier varie en fonction des différentes substances actives : le THC (tétrahydrocannabinol) ou le CBD (cannabidiol). Cette molécule possède des propriétés relaxantes, tandis que le THC est un psychotrope qui peut affecter le fonctionnement du cerveau et entraîner une addiction. Le cannabis prescrit peut être majoritairement composé de CBD ou de THC ou encore former un mélange de ces substances. L’absorption se fait par voie orale, sous la forme d’huile.

Pour des raisons d’approvisionnement, les médicaments à base de fleurs séchées à inhaler ne sont plus mis à disposition. Les patients qui consommaient cette forme de cannabis médical doivent donc suivre un arrêt progressif de leur traitement. Les médecins supervisent cette interruption. Les médicaments à base de fleurs ne constituaient pas un traitement de fond de la douleur chronique, mais permettaient d’aider les personnes en cas de crise (telle que des spasmes ou des douleurs aiguës).

Le cannabis à visée médicale permet de soulager certains patients

L’expérimentation n’est pas une étude comparative. Elle visait avant tout à évaluer si l’usage du cannabis médical pouvait être généralisé. « Il n'empêche que certains patients, qui n'étaient pas soulagés par d'autres thérapies, vont mieux grâce à ce traitement-là. Plutôt que de laisser les gens souffrir ou s'auto-traiter, on essaie de les soulager avec des précautions d'emploi et des produits de qualité », déclare le Pr Nicolas Authier.

Grégoire Oudot, médecin de la douleur à Reims, supervise des patients pour l'expérimentation. Selon lui, le cannabis thérapeutique présente un intérêt pour la qualité de vie des patients. « En soins palliatifs, le cannabis est plutôt utilisé comme un traitement global de confort. Il a peu d'effets sur la douleur, mais les personnes vivent mieux avec. »

Le cannabis thérapeutique pourrait ainsi faire office de médecine complémentaire efficace. Sans être un traitement miraculeux, il représenterait une nouvelle alternative pour certains patients. « On veut surtout aider les patients concernant la fatigue, les nausées, les vomissements ou l’anxiété », ajoute Grégoire Oudot.

Au sujet de l’efficacité du cannabis, Nicolas Authier indique : « Les médicaments à base de cannabis sont prescrits par des médecins et dispensés par des pharmaciens. Ils sont donc de qualité pharmaceutique. Cela va permettre de proposer une réponse à un patient qui souffre. »

Depuis trois ans, les médicaments à base de cannabis ont prouvé leur efficacité générale dans les cinq situations cliniques qui permettaient aux patients d’intégrer l’essai. « On doit encore affiner le profil des personnes qui y répondent positivement », précise Nathalie Richard, directrice de l’expérimentation à l’ANSM.

Les contre-indications et effets indésirables du cannabis thérapeutique

Tout comme les bienfaits, les effets indésirables dépendent de chaque patient. Il s’agit principalement de troubles neuropsychiatriques et digestifs. En cas de surdosage, le cannabis a un effet sédatif et peut induire de la somnolence ou des vertiges. Une exacerbation anxieuse, des angoisses et des troubles du sommeil sont parfois notés. Il peut également provoquer des effets psychotiques, tels que de la paranoïa.

Le cannabis ne doit pas être prescrit dans les cas d’insuffisance rénale ou hépatique sévère, ni chez les personnes qui présentent des troubles psychotiques, tels que la schizophrénie. Il est également contre-indiqué chez les patients qui ont une maladie cardio-vasculaire active, une hypertension non traitée ou qui auraient fait un accident vasculaire cérébral (AVC) dans les douze mois précédents. Le THC contenu dans le cannabis peut notamment avoir des conséquences sur la tension artérielle ou la fréquence cardiaque.

Le cannabis étant un stupéfiant, son usage implique des précautions d’emploi particulières. « Il y a une contre-indication formelle à la conduite automobile, ce qui empêche beaucoup de patients d’être introduits dans le protocole », informe Anne Blanchard, engagée dans l’expérimentation en tant que médecin au service de médecine physique et réadaptation du CHU de Lille.

À l’instar d’autres médicaments, le cannabis médical agit différemment en fonction des personnes. Parmi les patients qui ont arrêté l’expérimentation (environ 1 200), 36 % l’ont quittée pour inefficacité et 32 % pour effets secondaires. Parmi ces derniers, on retrouve des difficultés d'attention, des troubles de l'équilibre, des troubles de la mémoire, des vertiges, ou encore une somnolence. Mais à ce jour, aucune nouvelle contre-indication, ni aucun nouvel effet indésirable n’ont été relevés. Dans le cadre de l’expérimentation, les patients étaient interrogés tous les mois sur le sujet par leur médecin.

Des interactions possibles entre le CBD et certains traitements

De nombreuses personnes se tournent vers les boutiques de CBD, une molécule contenue dans les fleurs de cannabis. Les produits commercialisés sont souvent présentés sous forme d’huile ou de fleurs à fumer. « Le problème de ce commerce, c’est qu’il empiète largement sur la thérapeutique. Ce qui est gênant, c'est d’avancer des allégations médicales autour du CBD qui ne sont pas démontrées », condamne Nicolas Authier, médecin psychiatre.

Ce CBD commercialisé pose notamment problème car il peut interagir avec d’autres médicaments. Il est donc susceptible d’altérer le traitement de certains patients, comme le déplore Gisèle Chvetzoff, spécialisée en médecine palliative au centre Léon Bérard de Lyon. « En cancérologie, il y a des interactions majeures avec l'hormonothérapie, les thérapies ciblées et beaucoup d’autres médicaments », prévient-elle. C’est la raison pour laquelle les professionnels de santé doivent connaître les posologies du cannabis thérapeutique et analyser les potentielles interactions entre médicaments.

Bientôt une autorisation du cannabis thérapeutique

Certains médecins émettent des réserves sur le cadre de l’expérimentation et l’efficacité du cannabis. « J’aurais préféré qu’on fasse de vrais essais thérapeutiques avec une évaluation beaucoup plus rigoureuse », regrette par exemple la Pr Gisèle Chvetzoff. « En l’état, je ne vois pas comment cela peut se faire avec un protocole aussi compliqué. Que ce soit au niveau médical ou pharmaceutique, il y a tellement de contrôles et d’étapes… », signale à son tour le Dr Anne Blanchard.

D’après Nicolas Authier, ce temps d’expérimentation permet justement de se projeter dans un projet de légalisation et de résoudre plusieurs questions. Notamment celles du statut du produit et de son remboursement. « Il faut aussi préparer la formation des professionnels de santé le plus possible parce que si on légalise ces médicaments et que personne n'est formé, personne ne les prescrira », éclaire-t-il.

L’ANSM doit délivrer une autorisation de mise sur le marché au plus tard le 31 décembre 2024. La date d’arrivée des médicaments à base de cannabis est encore inconnue, mais Nathalie Richard espère que la mise à disposition se fera rapidement « de façon à ce que les patients actuellement sous cannabis médical dans le cadre de l’expérimentation puissent continuer à avoir des médicaments. Il ne faudrait pas qu’il y ait d’interruption dans l’approvisionnement. »

La prise en charge par l’Assurance maladie doit être définie au cours de l’année. Dans le cadre de l’expérimentation, les patients bénéficient de médicaments gratuits.

  1. Les douleurs neuropathiques sont provoquées par une atteinte du système nerveux qui affecte le cerveau, la moelle épinière ou les nerfs. Il peut, par exemple, s’agir de sciatique chronique.

  2. Ces symptômes peuvent être la douleur, la fatigue, les nausées ou encore la perte d’appétit.

  3. La spasticité se manifeste par des contractions brusques et involontaires des muscles.

  4. Situations dans lesquelles les patients sont atteints d’une maladie incurable. Les soins palliatifs ont pour objectif d’améliorer leur qualité de vie.

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